Comment l’association Binôme 21 casse les codes de la coloc pour étudiants en les acoquinant avec des seniors dans des cohabitations intergénérationnelles.
« Elle me manque quand elle n’est pas là », « Ah oui, moi aussi ! ». Nadine et Léa se répondent du tac au tac avec un sourire complice. D’ailleurs elles sourient tout le temps. Nadine et Léa vivent ensemble en cohabitation. Léa, étudiante en histoire de l’art de 20 ans, s’est installée dans le grand appartement lumineux de Nadine, à quelques centaines de mètres du centre-ville de Dijon, il y a un an et elle a signé avec plaisir pour une année de plus. Nadine est bien plus âgée que Léa, on ne lui a naturellement pas demandé son âge. Cette ancienne chercheuse en biochimie aux yeux pétillants a une énergie communicative et une vie encore bien remplie. Jardin, club de patchwork, voyages en tout genre… Elle accueille des étudiantes chez elle depuis bientôt 6 ans. « Après la mort de mon mari, j’ai été seule pendant 11 ans. Je déteste ça. J’ai été élevée et j’ai vécu avec plein de monde… ». C’est une amie qui lui parle de Binôme 21 et de ses cohabitations. Le principe ? Une personne âgée accueille chez elle un jeune pour une année, renouvelable.

Petite démo de Patchwork.
Mathilde Leconte
Binôme 21 se charge du casting, organise des rencontres pour voir si il y a
« Match » . « C’est l’asso qui fait tout. C’est très souple » nous éclaire Nadine. « Il faut des jeunes qui ont envie de partager ». Des jeunes chez les vieux ? Curieux, au premier abord on se disait plutôt que les étudiants en arrivant à Dijon auraient envie de se prendre une coloc et de faire la fête. « C’est sûr qu’à Binôme, ce n’est pas ce profil de jeunes que l’on a. Ce sont des jeunes sérieux, vraiment concernés par leurs études. Des jeunes qui ne veulent pas être seuls et que ça intéresse de partager avec quelqu’un qui est loin d’avoir leur âge », nous déclare Nadine Fagot, directrice de Binôme 21. Ça rassure les parents de Léa et ça rassure les enfants de Nadine (« ça les déculpabilise, pensez-vous ! » ) de les savoir toutes les deux en bonne compagnie. C’est gagnant-gagnant-gagnant. La somme demandée pour le loyer du jeune n’excède jamais 250 euros. Moins cher qu’un appartement pour le jeune, toujours utile pour le senior.
« Nadine, c’est à la fois une grand-mère et une copine ».
Mathilde Leconte

Léa venant de la Nièvre cherchait tout simplement un logement pour venir faire ses études sur Dijon. Pas si facile. La cohabitation pour elle, c’est « une solution de dépannage qui s’est transformée en super expérience. Nadine, c’est à la fois une grand-mère et une copine ». Elles partagent leurs lectures, regardent des séries ensemble, Léa a pris goût au Patchwork et aux mots fléchés grâce à Nadine. Elle reste la plupart du temps le week-end à Dijon et a même choisi de rester pendant les différents confinements : « J’étais mieux ici pour bosser la fac ».
Les jeunes ne sont pas pour autant des aides ménagères, ils peuvent être là pour aider dans les petites tâches quotidiennes, porter les courses, rendre des petits services ou tout simplement pour discuter mais ils ne remplacent pas un professionnel ; ce n’est pas le deal. Un contrat est signé entre les 2 parties. Un contrat simple mais important pour que tout soit cadré. Tout le monde s’engage à ce que ça se passe bien. Et en général, c’est le cas. « On a jamais de gros clashes. Parfois quelques changements dans les habitudes des personnes âgées mais pas de conflits majeurs. Plus de la moitié des gens en cohabitations intergénérationnelles continuent à être en contact après la cohabitation » affirme Mme Fagot. En effet, Nadine a déjà vu passer 3 jeunes filles sous son toit avant Léa. « Je les ai toutes adoptées ». Il y a eu Ouda, Manon et Anna-Paulina, qui venait d’Équateur. « Je continue à l’avoir au téléphone. Je vais aller la voir là-bas dès que je peux ». De toute façon, des médiateurs de l’Association Binôme 21 sont là pour veiller au grain. Ils passent, discutent, s’assurent que tout se passe bien.

« Il faut des jeunes qui ont envie de partager ».
Mathilde Leconte
En tout, sur toute la Côte d’Or, ce sont une quarantaine de cohabitations intergénérationnelles qui sont impulsées par Binôme 21 tous les ans. « En ville c’est facile de trouver des jeunes mais en milieu rural, les personnes âgées sont très seules, on travaille là-dessus » nous éclaire la directrice de l’association. Car la cohabitation intergénérationnelle, ce n’est pas la seule corde à l’arc de Binôme 21.
L’asso crée en 2010 par Marie-Françoise Erard, alors fraîchement retraitée, a su se développer et gagner la confiance de ses partenaires (villes, conseils départementaux, mécènes en tout genre…*). Son boulot ? Mettre en relation les seniors de plus de 75 ans isolés avec des jeunes. Sa force ? Des troupes de jeunes volontaires en services civiques qui, en dehors de cohabitations, vont rendre visite aux personnes âgées chez elles. Une heure ou deux ou une journée, pour discuter, se balader, jouer ou aussi leur apprendre à se servir des outils numériques aujourd’hui indispensables. Un cours d’Instagram par-ci, des Whatsapp pour discuter avec la famille à distance par là ou comment faire ses courses en ligne par exemple…
Ça permet de rester dans le coup, de voir du monde, et de ne pas subir la « fracture numérique » ; Binôme 21 a même une batterie de tablettes numériques simplifiées mise à disposition des seniors.
Nadine a déjà vu passer 3 jeunes filles sous son toit avant Léa. « Je les ai toutes adoptées »
Mathilde Leconte

En fait, l’activité principale de Binôme 21, c’est de donner le sourire, aux jeunes comme aux moins jeunes. Et ça marche extrêmement bien depuis 10 ans si on se fie aux mines réjouies que l’on croise dans leur sillage.
*Binôme 21 fait partie, avec une quarantaine d’autres structures en France, du réseau Cohabilis (France cohabitation intergénérationnelle).
Texte : Antoine Gauthier