Interview

Noé : « Je ne l’attendais pas, cette main tendue »

Noé, 23 ans, tente de se réinsérer dans la vie professionnelle grâce au dispositif Tapaj.

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S’adressant aux jeunes en situation de précarité ou d’addiction, Tapaj est un programme de réinsertion audacieux qui porte ses fruits à Dijon et dans toute la France. Entretien croisé avec Noé et Yoan, son éducateur, la veille d'une grosse journée de boulot aux espaces verts de Dijon.

Noé est un jeune « Tapajeur », du nom de ce dispositif qui repose sur un principe clé, le « travail alternatif payé à la journée ». C’est grâce à Tapaj que Noé reprend confiance et se réinsère. D’abord au jour le jour, puis avec un horizon. Après avoir « goûté à tout », Noé avait besoin d’une main tendue pour s’en sortir. Une deuxième chance, après des débuts chaotiques, qui ne sont pas le lot que des villes, mais qui touchent aussi les aires plus rurales.

Noé, sur une mission avec les espaces verts de la ville de Dijon.

Diego Zébina

Quelle est la particularité du dispositif Tapaj ?

Yoan : Je pense que c’est la possibilité de commencer à travailler sans prérogatives. On ne juge pas, on ne demande pas de compétences. Il n’y a pas de prérequis. Tout le monde peut être accompagné. Ce qui fait aussi l’intérêt, pour les Tapajeur.euses, c’est d’être payé en espèce à la fin de la journée. C’est une vraie particularité dans l’accompagnement des personnes atteintes d’addiction. 

Pourquoi ?

Yoan : C’est un contrat de responsabilisation, en fait. Ces conditions permettent une inclusion rapide dans le dispositif et favorisent l’adaptation au rythme de la personne. 

Noé, quand as-tu intégré le programme et qu’est-ce qui a changé, depuis ?

Noé : Cela fait 1 an. Tapaj a été une rampe de lancement. Après un an de Tapaj, tout est différent. Il y a quelques mois, j’ai connu la rue. Maintenant j’ai un appartement avec ma copine. Il y a un an, je ne pensais pas que je serais aussi engagé aujourd’hui. J’ai fait beaucoup de progrès.

Tu as senti à un moment que ça devenait important pour toi ?

Noé : C’est surtout que je ne l’attendais pas, cette main tendue. Cet été, j’ai eu des problèmes personnels. J’ai dû quitter la région. J’avais de vrais regrets de sortir du dispositif, et la peur de perdre cet accompagnement. Yoan, l’éducateur, m’a appelé. Il m’a parlé, m’a assuré qu’on allait trouver des solutions. Revenir dans le dispositif m’a beaucoup rassuré.

« Spring is coming »

Diego Zébina

Le dispositif Tapaj, ça m’a surtout permis de faire un travail sur moi…

Quel est ton rôle précisément, Yoan ?

Notre rôle, c’est d’accompagner les Tapajeur.euses, dans diverses démarches et situations, comme par exemple la recherche d’un hébergement ou d’un projet d’insertion professionnelle. On évolue par phases, d’ailleurs. La première, c’est la prise de contact, ensuite la prise en charge et enfin l’accompagnement. Au fur et à mesure, le nombre d’heures de travail augmente pour aller jusqu’à l’autonomie sur certains chantiers. L’idée, c’est de donner la possibilité aux bonnes volontés de s’exprimer.

Noé, en quoi ce programme convient à ton parcours et ce que tu veux faire ?

Noé : Je ne me vois pas faire un boulot à temps plein. Quand j’étais en apprentissage, j’avais beaucoup de mal avec ça. Mais en même temps, c’est une angoisse de vivre aux dépens de quelqu’un. Là, on travaille, et au début, on a l’argent dans la foulée. On a besoin de ça. Puis, au fur et à mesure, on travaille plus, et on est payés plus tard. Tout doucement, ça responsabilise. En plus, ça correspond à ma vision du travail, j’ai toujours aimé être en extérieur. Et on apprend pas mal de choses avec les missions qu’on réalise.

Vous bossez en équipe. Comment ça se passe avec les autres Tapajeurs ?

Noé : Quand je suis arrivé à Tapaj, j’appréhendais un peu. Finalement, un lien se crée, un lien spécial, je peux même parler d’une forme d’union. On sait pourquoi on est là. Tout le monde est là pour tout le monde. On souffre ensemble. On se donne des conseils, notamment aux plus jeunes.

Yoan : Là où Noé a beaucoup appris je pense, c’est sur l’autonomie. Maintenant, il est en phase 3, et il est vraiment acteur de son parcours. Il est beaucoup lui-même dans la transmission. Il a un nouveau regard sur les choses, au-delà du travail.

Yoan, quel regard portes-tu sur l’évolution de Noé ?

Yoan : Il a le profil et le parcours type du Tapajeur qui a beaucoup évolué depuis le premier entretien. La consommation de stupéfiants tenait une place centrale. Il a fallu aussi l’aider sur les questions d’hébergement. Il a beaucoup réfléchi sur son environnement.

Toujours disponible, Yoan Colas est l’éducateur spécialisé référent du dispositif.

Diego Zébina

Qu’est-ce qui t’a amené là où tu étais, Noé ?

Noé : J’ai tout goûté. Tous les trucs d’Internet. Je suis un genre d’Encyclopédie moléculaire. J’ai des connaissances. Je faisais attention. Je peux même dire que ça m’a passionné. Je prenais souvent seul, pour me retrouver en face du produit. Ça a pu m’aider à réfléchir. Et puis, c’était souvent aussi une forme de récompense, à la fin de la semaine.

Ça a commencé quand ?

Noé : Très tôt, j’ai été attiré par la cigarette, via mon entourage. J’ai commencé à 10 ans. Mais avant la séparation de mes parents, tout allait bien. J’étais bon à l’école. Entre 11 et 12 ans, mon premier joint. Puis l’alcool, très tôt aussi. Pour l’anniversaire de mes 13 ans, j’ai découvert l’ivresse, la vraie. À 14 ans, je passais des week-ends à descendre des bouteilles de whisky. Entre mes 16 et 17 ans, j’étais en apprentissage pour être charcutier-traiteur. Je commençais le cubis de blanc le matin. On ne m’a jamais fait chier, j’ai toujours pu en acheter facilement. Un peu avant 18 ans, j’ai commencé la drogue dure. Du speed, avec un ami. Dans la foulée, j’ai découvert le milieu de la free party. Et voilà. Maintenant j’ai 23 ans.

Tapaj, relation de confiance et travail d’équipe.

Diego Zébina

Est-ce qu’il y a eu un déclic ?

Noé : Avec l’alcool, je peux juste dire que j’ai honte de ce que j’ai pu faire en étant saoul. J’ai fait un gros accident de voiture, j’ai eu de la chance. Ça m’a aidé à prendre conscience des conséquences. Pour ce qui est des autres substances, c’est surtout le travail, ici, avec Tapaj. Quand on te fait confiance, quand tu es dans ma situation, tu as forcément envie de donner raison à ceux qui te tendent la main.

Qu’est-ce qui pourrait être amélioré selon toi, avec ton expérience, notamment au niveau des politiques publiques ?

Noé : Je pense qu’il y a encore un gros travail à faire au niveau de la prévention. Il faut sans doute changer de discours. Il faut arrêter de faire peur, ça ne mène nulle part. Peut-être même que ça empire. Ce qui fait peur attire, au final. C’est sans doute une piste pour réduire les risques.

Propos recueillis par : Arthur Guillaumot
Photos : Diego Zébina

Note d’information
Le réseau associatif Tapaj a le vent en poupe ces dernières années. Venu du Québec, il est arrivé en France à Bordeaux, avant d’infuser. Il est porté à Dijon en 2016, porté par la SEDAP, la Société d’entraide et d’action psychologique. L’idée, c’est de sortir des jeunes de la précarité, de la dépendance, par le travail. Plusieurs phases d’accompagnement et de responsabilisation permettent de tendre la main à des dizaines de jeunes. Entourés par des éducateurs, ils réalisent de petites missions et se réinsèrent. Le dispositif est soutenu par la ville de Dijon, la préfecture de Côte d’Or, l’Agence régionale de santé et des entreprises.

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