Reportage

Top Cheffes

Le projet Tours De Main permet à des femmes éloignées de l’emploi de transformer leur envie de faire à manger en entreprise de restauration.

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C’est le coup de feu dans les cuisines de la Vapeur, la salle de concert Dijonnaise. Ça va, ça vient, ça hausse la voix, ça coupe, ça pétrit, ça rince…On se fait tout petit pour ne pas gêner les va-et-vient du personnel. Au milieu de l’équipe, Pamela, Marianne et Khadija cassent des œufs et jouent du rouleau à pâtisserie.

Les 3 cuisinières se fondent dans le décor comme si elles y étaient depuis des années alors qu’elles ne sont là que depuis quelques séances, en formation. Elles font partie de la promo test du projet Tours De Main, qui accompagne les femmes qui veulent se lancer dans la restauration. Une sorte de promo zéro, les premiers pas du projet.

Elles sont avec Simon, le chef, pendant 6 séances, pour apprendre à faire tourner leur entreprise. À l’instant elles préparent l’ultime séance et épreuve de la formation : une prestation pour un client. Un service traiteur préparé de A à Z par leurs six mains. « On nous a donné des ingrédients et il a fallu qu’on élabore un menu pour 35 personnes avec ça, toutes ensemble » nous explique Khadija. Les filles travaillent en équipe au milieu du joyeux bordel organisé de la brigade de la Cuisine flottante, affairée à d’autres tâches. Car la Cuisine flottante, c’est tout un monde dans la restauration. Ils s’occupent des caterings (la cuisine pour les équipes et les artistes de la Vapeur), du resto de La Vapeur (« les Cornichons »), mais aussi du resto et des caterings de la péniche Cancale à Dijon , et ont une activité de traiteur bouillonnante dans la capitale de Bourgogne-France-Comté. Bref, des gens qui ont de l’expérience.

 

Pouvoir vivre de son travail, du fait de nourrir les autres, ça s’apprend. C’est raisonner comme un entrepreneur en fait.

Chaud devant !

Paul Dufour

Main dans la main

Le projet Tours De Main a été monté par la Coursive, l’espace collaboratif du quartier des Grésilles à Dijon, l’ADIE, l’association qui accompagne et finance les microentrepreneurs, et la Cuisine flottante. La Coursive avait à l’époque repéré dans le quartier des femmes qui faisaient à manger, qui se lançait dans une activité de traiteur informelle pour certains événements, mais qui n’arrivaient pas à en vivre, qui étaient vite découragées…Comment passer de l’intention à la véritable entreprise qui roule et qui surtout, fait vivre ? La Coursive et l’ADIE les accompagnent pour le côté administratif et financier, tandis que la Cuisine flottante donne la main pour tout ce qui concernent l’activité des fourneaux.

« Moi, faire à manger, je sais faire, c’est tout le reste que je ne sais pas faire… » avoue Khadija ; C’est pour « tout le reste » qu’elle est venue suivre cette formation. « Le problème, ce n’est pas de savoir cuisiner, les filles y arrivent très bien, elles savent comment faire à manger. Le problème, c’est de savoir vendre à manger et de pouvoir en vivre » explique Simon.

Une formation qui permet d’asseoir ses fondamentaux et de comprendre le côté gestion, inhérent au métier.

Paul Dufour

Gagner son pain

Paloma aimerait monter un foodtruck de plats mauriciens. Elle travaille déjà pour une entreprise d’insertion qui propose un service de traiteur, tout comme Khadija. « On aimerait crée notre propre emploi, c’est pas la même chose de travailler pour soi ». Marianne, elle, a un profil différent. Elle vient du fond de la vallée de l’Ouche et elle a changé de vie. Conseillère dans la formation, elle a tout quitté pour monter son autoentreprise de traiteur. Elle a été accompagnée dans la création de l’entreprise, mais techniquement, elle peine à savoir quels bons prix pratiquer, ou encore quelles quantités utiliser. Simon leur donne des conseils sur le choix des produits, la gestion des stocks, les quantités, la réutilisation des produits. Car la Cuisine flottante, c’est une cuisine de produits locaux, et une démarche zéro déchet. Mais Simon est aussi là pour partager son expérience sur le côté financier de l’activité. Quels prix pratiquer ? Quelles marges s’accorder ? « Le but c’est que les filles sachent évaluer le coût de leur travail, le temps de travail et le prix de revient, qu’elles comprennent la valeur de leur travail, c’est important. Sinon, tu te fatigues. » constate-t-il, lui qui est également passé par là quand il a basculé du monde du spectacle à celui de la cuisine avec sa compagne Aurore, il y a 6 ans. « Pouvoir vivre de son travail, du fait de nourrir les autres, ça s’apprend. C’est raisonner comme un entrepreneur en fait ».

Multi-casquettes

L’ambiance est effrénée, mais on prend le temps de rigoler quand même un peu. Les filles notent, posent beaucoup de questions et Simon a souvent les réponses. « Comment j’évalue les proportions pour 30 personnes ? », « Comment j’annonce ça au client ?», etc. « En fait quand on monte son entreprise de traiteur, on est cuisinière, mais aussi comptable, commerciale, agent de nettoyage…On fait tout. » Marianne n’y était pas forcément préparée au début. « Ici, on vient chercher des outils pratiques importants ». Finalement elles apprennent aussi quelques petits trucs en cuisine aussi. « Y’a des légumes que je ne connaissais pas, j’ai appris à les travailler » avoue Khadija. Marianne complète. « C’est toujours bien de voir des méthodes différentes, de rencontrer des pros, de travailler en équipe, de voir aussi comment faire de la cuisine de saison, ou veggie ».

La première promo de Tours de Main, les mains dans le camboui.

Paul Dufour

C’est toujours bien de voir des méthodes différentes, de rencontrer des pros, de travailler en équipe, de voir aussi comment faire de la cuisine de saison, ou veggie

La finale

Le lendemain, après la cuisine, vient le moment de la prestation, assumée de bout en bout par nos trois cuistots. Le repas de Noël de la Coursive. 35 personnes affamées et conquises par la cuisine de Marianne, Khadija et Pamela. Velouté, tartes blettes/épinards, riz fris aux légumes de saison, œufs pochés, samosas pommes et noix…Un régal, ça, on n’en doutait pas, mais aussi une réussite sur les quantités, et un excellent exercice pour l’avenir et la réalisation ou la consolidation de leur projet.

Le but de Tours De Main, c’est que les cuisinières puissent avoir une activité viable, mais le projet final, après plusieurs « promos », serait de créer une cuisine collective, un lieu pour toutes les filles, qui pourraient partager l’espace et les bonnes pratiques dans leurs activités de traiteurs respectives.

Texte : Antoine Gauthier // Photos : Paul Dufour

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