Reportage

Toutes les couleurs du canal de Bourgogne

Un Tiers-lieu à ciel ouvert à deux pas de Dijon vous en rêviez ? L’association Talents sans Frontières l’a fait.

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Si vous vous êtes déjà promenés à pied ou à vélo le long du canal de Bourgogne, à la sortie de Dijon, vous avez peut-être rencontré ces imposantes sculptures en pierre de plusieurs mètres de haut. Protectrices du canal de Bourgogne à la manière d'un Romulus et Rémus veillant sur le Tibre. Mais alors comment un canal construit en 1832, en pleine monarchie de Juillet, peut-il afficher des œuvres qui semblent provenir de la Rome antique ?

C’est en rencontrant Francis Contat, le responsable de l’association Bourguignonne Talents sans frontières, que nous trouvons réponse à notre question : « les sculptures que tu as pu voir à l’entrée, tout comme la palissade multiculturelle qui longe l’écluse sont les marqueurs du travail artistique de notre association installée ici depuis 2016, c’est notre façon d’accueillir les voyageurs ! » me confie Francis dans un sourire communicatif. Il me reçoit à l’écluse 62, sous un soleil d’hiver bien veillant qui a facilité mon déplacement depuis le centre-ville de Dijon à vélo, en une petite vingtaine de minutes seulement.

 

L’assemblage de choses hétéroclites reflète la pluralité des cultures qui se rencontrent dans les maisons éclusières

Neptune et la sirène protègent le canal

Francis Contat

Berges et légumes de saison

Depuis le mois de juillet, l’association Talents sans frontières est aussi installée dans l’écluse 62, à proximité de Bretennières, commune rurale située dans le sud de Dijon. Avant ils étaient à Ouges, à l’écluse 61, à 500 mètres, là où les titanesques sculptures et la palissade sont installées. En y passant, ce jour, j’ai découvert un endroit fourmillant de personnes : travailleurs et promeneurs profitant, comme moi, du beau temps et de la quiétude du lieu. Pour Francis c’est d’ailleurs le mantra : « L’écluse 61 est un havre de paix, un lieu de halte parfait et désormais complètement opérationnel. Là-bas, on fait du maraîchage, on cultive les berges ; il y a une AMAP où on peut acheter des légumes sur place. Aujourd’hui on y retrouve vingt employés et des artistes qui font vivre le lieu ! ». Ce qui n’était clairement pas gagné quand Francis et Sergeï ont récupéré l’écluse en 2016.

Les compagnons du devoir

Sergeï Andruchenko et Francis Contat se sont rencontrés par hasard. Un hasard qui fait bien les choses. Sergeï, d’origine biélorusse, vit dans la rue non loin de chez Francis. Pour lui, le quotidien n’est pas rose, comme pour tous les gens qui connaissent un jour une extrême précarité. À force de se croiser et de se saluer, une relation amicale se crée. Sergeï en vient à raconter son histoire et son exode à Francis. Il lui confie qu’il faisait partie d’une coopérative d’artistes en Biélorussie et qu’il est lui-même sculpteur. Francis, ancien directeur d’agence de communication, fraîchement retraité, décide de l’aider. L’urgence c’est de trouver un endroit pour que Sergeï et ses camarades rencontrés dans la rue puissent pratiquer leur art. Puisque oui, Sergeï est entouré d’autres amis qui possèdent également des compétences artistiques. Le cahier des charges est assez basique : être en périphérie de ville, là où on peut faire du bruit et avoir de l’espace pour travailler. La rencontre avec VNF (Voies Navigables de France) et la mairie d’Ouges est un autre hasard heureux pour Francis. Alors en pleine recherche d’un lieu, il entend parler de ces maisons éclusières inutilisées. De son côté, désireuse de redorer les lettres de noblesse de ces lieux quasi abandonnés, VNF est tout ouïe à la proposition de Francis qui propose un projet inclusif, basé sur la réinsertion par le biais de l’art-thérapie et impliquant des artistes de tous horizons. 

L’équipe de l’association Talents sans   frontières cru 2022 devant la maison éclusière 62

Francis Contat

Art Brut

Aujourd’hui Francis dispose d’un pool d’artistes qui se renouvelle sans cesse via le bouche-à-oreille. Une pléthore d’œuvres et de styles se côtoient sur place. Francis ne cherche pas à répondre à un besoin mais dispose aujourd’hui d’artistes aux compétences variées : « L’assemblage de choses hétéroclites reflète la pluralité des cultures qui se rencontrent dans les maisons éclusières ». Cette pluralité est mise en avant par la présence des sculptures évoquées à l’entrée du canal mais aussi par la présence de la palissade multiculturelle qui s’étend le long des berges. Imaginez donc une palissade aux 1 000 couleurs qui représentent les histoires, les parcours de vie et les voyages de dizaines d’artistes : « Les artistes ont chacun leur univers, le lieu c’est le projet commun et dans tout ça, la palissade multiculturelle c’est le liant ». Pour Francis, ce projet que certains médisants pourraient qualifier de « simpliste » ne représente pas que des morceaux de planches peinturlurées et assemblées mais un modèle de vivre ensemble qui, un jour, pourra rassembler les écluses 61 et 62, distantes de 500 mètres. Un impressionnant arc-en-ciel d’œuvres, de souvenirs et d’histoires.

Modèle d’intégration

En plus de remettre sur pied des artistes à la rue, et de donner un coup de plumeau sur les écluses abandonnées, l’association a pour but avoué de s’intégrer dans la vie de la cité. Bien sûr, ils travaillent déjà avec de nombreuses structures sociales de l’agglomération comme la CIMADE et le CESAM (pour l’intégration des migrants), Itinéraire Singulier, et depuis peu avec les scolaires de la métropole : « les enfants adorent l’endroit, quand ils viennent c’est la fête ; on les accueille en musique. Les artistes présents adorent faire ça », nous confie Francis, le sourire aux lèvres. Mais pour lui, il y a encore du travail pour intégrer le projet à 100 % à la commune : « L’intégration s’est bien passée, on a eu un accueil chaleureux. Désormais on cherche à créer un projet commun avec les habitants. On aimerait faire une station vélo afin que les gens puissent venir réparer leur bicyclette. Cela va amener plus de gens et ça va faire s’ouvrir le lieu ».

Francis Contat et une partie de l’équipe bénévole devant une (petite) partie de la palissade multiculturelle

Francis Contat

Les artistes ont chacun leur univers, le lieu c’est le projet commun et dans tout ça, la palissade multiculturelle c’est le liant 

Musée éclusier

Francis à des idées plein les valises. Avant de le laisser à ses affaires, il prend le temps de nous présenter sa dernière découverte au sous-sol de la maison éclusière 62 : un musée de Curiosités ! La collection personnelle constituée par le dernier éclusier depuis plus de 30 ans : « Il a mis bout à bout tout ce que les gens lui ont donné en rapport, ou non avec l’écluse ». Une collection hétéroclite, à l’image du travail entrepris depuis 2016. Même s’il va falloir du temps pour créer une muséographie digne de ce nom, Francis est ravi de cette nouvelle perspective. Une raison supplémentaire de venir passer du temps dans ce tiers lieu à ciel ouvert afin de partager et cultiver l’art du vivre ensemble, bien loin des considérations de notre époque et à quelques encablures du centre-ville.

Texte : Julien Rouche / Photos : Francis Contat

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