À l’Université de Bourgogne, un diplôme permet aux réfugiés de poursuivre leurs études tout en découvrant les « subtilités » du système français. Un moyen de découvrir et de s’intégrer en douceur, accompagné d’une équipe bienveillante. Rencontre avec la responsable du DU et 2 anciens du cursus.
« Dijon, c’est chez moi maintenant. J’ai connu Paris et Lyon, mais je préfère Dijon« . Ibrahim et son sourire communicatif sont installés en terrasse, dans sa ville d’adoption. En ce moment, il bosse comme technicien dans les télécoms à Chalon-sur-Saône mais revient tous les week-ends à Dijon. « Quand je suis arrivé, je ne connaissais rien à la France, je ne parlais pas bien français » nous raconte celui qui s’exprime maintenant dans un français presque impeccable, « c’était difficile dans ces conditions de savoir comment faire valoir mes diplômes ». Il est désormais titulaire d’un DUT génie électrique, ici en France, en plus de sa licence de mathématiques au Soudan, son pays d’origine. Ce diplôme, ce début de carrière en France et cet avenir qui s’éclaire pour Ibrahim sont en partie dus à son passage par l’Université de Bourgogne et son Diplôme Universitaire (DU) passerelle « étudiants en exil ». « Pendant la crise en Syrie en 2015, on a vu débarquer des étudiants Syriens un peu perdus, il y a eu une mobilisation chez les universitaires » nous explique Claire Despierres, professeur de linguistique à l’Université et à l’origine de la création du DU. « On a commencé à travailler bénévolement avec le pôle international de la fac pour les accompagner« . L’idée d’un diplôme universitaire comme cadre plus officiel fait son chemin. C’est chose faite en 2017. L’idée de départ : accueillir les jeunes qui, diplômés dans leurs pays, ont été obligés d’arrêter les études à cause de l’exil. « En 2019, on rejoint la coordination nationale universitaire ‘migrant dans l’enseignement supérieur’, on se sent moins seul de notre côté à Dijon« . C’est à ce moment-là que le DU devient DU passerelle et prend tout son sens. Avec un DU dit passerelle en poche, les jeunes diplômés peuvent intégrer les cursus des universités françaises. C’est comme ça qu’Ibrahim a pu rejoindre son IUT et aussi qu’Ali, rencontré sur le Campus dijonnais, a pu s’inscrire en fac d’économie. « J’étais déjà diplômé en Afghanistan mais le diplôme n’est pas reconnu ici ».
C’est un accompagnement linguistique mais aussi culturel, social et humain.

Ibrahim et son sourire
Édouard Roussel
La méthode Despierres
Maintenant la méthode est rodée par Claire et son équipe. Le DU, d’une durée d’un ou deux ans, a pour mission première de mettre les étudiants à niveau en langue française. Un français solide pour l’université, c’est essentiel. Ensuite, de leur offrir des cours adaptés au cursus qu’ils aimeraient suivre, et enfin une immersion dans les filières universitaires classiques et des stages en entreprises éventuels. « On a conscience que c’est un programme d’insertion, pas seulement linguistique. Ils ont besoin de savoir où ils vont » précise Claire Despierres. « On travaille leur projet concrètement. L’environnement social global est à prendre en compte. Il y a un chargé d’accompagnement au projet professionnel dans l’équipe. Chaque parcours est différent« . En fait c’est un accompagnement linguistique mais aussi culturel, social et humain, « Pendant la durée du DU, on les voit tous les jours, on est leurs interlocuteurs en France. Tous les dossiers, la CAF, le pôle emploi, les médecins… On leur apprend comment faire. On essaie de les ouvrir culturellement en organisant des ateliers artistiques et aussi des ateliers radio. On ne peut pas être que dans le purement universitaire« . En effet, quand on débarque en France sans rien connaître, il faut tout apprendre. « La cuisine, la langue, la fac, le travail, l’administration… Je ne connaissais rien, tout était nouveau » nous explique Ibrahim. « Le DU étudiants en exil m’a aidé de tous les côtés. Pour les us et coutumes, les valeurs de la république… s’intégrer, postuler… On ne connaissait rien au système français » précise Ali de son côté, qui n’osait parler à personne avant le DU. « S’intégrer, ça demande beaucoup d’efforts. Les gens sont un peu froids ici, ne viennent pas te voir naturellement. Mais j’étais motivé. On est allé dans des cafés polyglottes, on voulait parler, parler, parler… Maintenant on a beaucoup d’amis ici, des Français et des étrangers » annonce Ibrahim dans ce large sourire qui ne le quitte jamais. Un système de tutorat a également été mis en place depuis la promo d’Ibrahim : une quarantaine d’étudiants de l’Université de Bourgogne accompagnent les étudiants en exil et les aident à travailler et à s’intégrer.
Claire Despierres à son bureau de l’université de Bourgogne
Édouard Roussel

Une réussite
Ali et Ibrahim ont été mis au courant de l’existence du diplôme universitaire par leurs assistantes sociales. Ils ne s’étendent pas sur leur voyage jusqu’ici. Ibrahim confie qu’il est passé par Lampeduza « très dur… », et Ali qu’il est passé par la Suède, où il a eu très froid, avant de rejoindre la France, mais nous n’en saurons pas plus. Juste que la France « pays des libertés » était le but de leur voyage et qu’ils sont arrivés en Bourgogne un peu par hasard, au gré des « affectations » que leurs ont attribué les services sociaux. Ces deux-là préfèrent regarder vers l’avenir en précisant que c’est maintenant possible grâce à leur passage par le diplôme de Claire Despierres et son équipe. Ils ont postulé au DU en espérant pouvoir continuer leur route après une coupure forcée par la vie qui ne leur a pas fait de cadeau. Tous les demandeurs d’asile de Bourgogne-Franche-Comté peuvent postuler au DU. Il suffit d’avoir l’équivalent du bac dans son pays, et de déjà savoir parler un petit peu français. « On est content, c’est une réussite. On a réussi à monter une formation qualifiante. Car même s’ils ne continuent pas à l’université après le DU, ils sont armés. Le DU est une étape de leur nouvelle vie. Finalement il y a très peu de jeunes avec lesquels ça capote » nous confie Claire. « Il y a encore beaucoup d’ex-étudiants que je continue à voir, ça crée des liens forts ».
Tous les demandeurs d’asile de Bourgogne-Franche-Comté peuvent postuler au DU. Il suffit d’avoir l’équivalent du bac dans son pays, et de déjà savoir parler un petit peu français.
L’intégration par la langue, les études, le travail, de manière humaine, avec des résultats. Ibrahim est chez lui à Dijon et vient de passer le permis de conduire. Quant à Ali, il se voit bien prof d’éco à la fin de ses « nouvelles » études. Il confie même qu’il « aime le climat à Dijon »… ça, c’est bien la première fois que j’entends ça… « C‘est parce que c’est le même que chez moi à Jhazni, en Afghanistan ». Ah, désolé Ali. « Ah non pas du tout désolé, c’est super, au contraire ».
Texte : Antoine Gauthier // Photos : Édouard Roussel

Ali enchanté par le climat bourguignon
Antoine Gauthier