Interview

Abdelaali El Badaoui : « On veut innover et on veut aller vite »

Rencontre avec Abdelaali El Badoui, fondateur de Banlieue Santé. Association qui replace au centre des débats la question de l'accès aux soins dans les quartiers.

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Abdelaali El Badaoui est un homme pressé et pas simple à joindre. Toujours sur la brèche, cet infirmier hyperactif, avec un flow à 140 BPM, a fondé l’association Banlieue Santé en 2018 avec pour ambition de rendre la santé accessible à tous, en prenant en compte les problématiques sociales des patients. Pendant sa pause déjeuner on a réussi à le capter et lui poser quelques questions.

Parfois, les bonnes idées sont accidentelles ! Dans son enfance, Abdelaali El Badaoui fut victime d’un souci de santé. Durant son hospitalisation, il a constaté le désarroi de ses parents, d’origines marocaines, plongés dans un système médical dont ils ne connaissent ni les règles ni la langue. Et de là est sans doute née une vocation. Plus tard, devenu agent hospitalier, il se surprend à devoir traduire et vulgariser le discours médical a des patients étrangers. Constatant ce manque d’explication, il  décide de fonder l’association Banlieue Santé en 2018 avec pour ambition de rendre la santé accessible à tous, en prenant en compte les problématiques sociales des patients. Il ne s’attendait sans doute pas aux proportions que sa petite asso allait prendre.

Vous avez l’air d’être quelqu’un de très occupé?

Abdelaali El Badaoui : Oui, je suis sur le terrain tout le temps, à challenger et à manager mes équipes. Il faut savoir que Banlieue Santé c’est une dizaine de collaborateurs et de collaboratrices salariés et plus de 5000 bénévoles dans toute la France. En ce moment on est très occupé avec la crise sanitaire qui continue mais aussi avec cette crise sociale qui frappe durement les populations les plus précaires. Notre mission c’est de trouver des solutions d’innovations sociales et médicales. On a une vision holistique du problème. Une vision globale, à 360° ! Pour faire simple on sait que la santé ce n’est pas seulement l’absence de symptôme et de maladie, c’est un état de bien-être social, mental et physique. On considère que l’éducation, le sport, la culture, l’emploi, le bien manger, le logement… Tout ça c’est la santé. Tous ces déterminants permettent d’avoir un meilleur accès à la santé.

L’une de vos actions, c’est notamment de produire des vidéos pour expliquer aux personnes qui ne maîtrisent pas bien le français comment fonctionne le parcours de soins en France ?
AEB : La barrière de la langue c’est un des éléments qui fait défaut mais le fond du problème c’est qu’une partie de la population ne va pas vers l’offre de soin. Il y a dans notre pays un véritable décrochage sanitaire chez certains. C’est une population qui doit aussi régler ses problèmes sociaux, et la santé est reléguée à l’arrière-plan de leurs priorités. Et puis il y a aussi un manque de compréhension des usages des services publics et une certaine lenteur dans le parcours de soins. Nous, par exemple, on a monté une opération qui s’appelle « vu et corrigé » pour que les gens puissent avoir une consultation ophtalmologique et un appareillage en lunette en une seule journée. On fait simple et efficace.

 

« Nous, on est sur le terrain au quotidien avec eux ; on connaît ces populations, on les comprend, on a vécu leurs problèmes » Abdelaali El Badoui sur la friche aux idées lors du VYV Festival 2021

Mathilde Leconte

C’est quand même étonnant que des institutions publiques, comme la CPAM, n’y  aient pas pensé avant ?

Abdelaali El Badaoui : Ah mais c‘est aussi aux organisations privées ou associatives comme la nôtre de faire bouger les choses. C’est vrai qu’il y a un travail pour faire évoluer les mentalités et certains process. Aujourd’hui, il y a un tel enjeu, tant au niveau social que sociétal, que l’on ne se pose pas de question, on y va. Je pense que c’est aussi à la société civile de lancer des initiatives. Aujourd’hui il y a des institutions qui, ne serait-ce que pour lancer juste une affiche, vont nous faire tout un tintouin. Nous on n’a pas de temps à perdre, on est sur le terrain, on résout des problèmes ou on propose des solutions pour les gens avec les gens.

Et justement quels types de solutions proposez-vous ?

AEB : Par exemple en mai on a relancé une tente santé. C’est une tente nomade de berbère qu’on installe en plein cœur des quartiers populaires, et on fait venir des professionnels de santé ; des médiateurs santé, des infirmiers, des médecins qui parlent plusieurs langues. Ça permet à ces populations d’être en confiance, sur leur terrain. On en profite aussi pour distribuer des kits d’hygiènes, avec des masques ou du gel hydroalcoolique notamment. C’est une autre manière de faire de la médecine générale : le professionnel n’attend plus que le patient vienne à son cabinet, c’est lui qui va vers le patient. Moi en tant qu’infirmier je me suis rendu compte qu’il y avait une grande inégalité sociale par rapport aux soins. Des études montrent que l’espérance de vie d’un individu pauvre – un ouvrier par exemple – est inférieure de 10 ans à celle d’un cadre sup’. Tout l’enjeu de Banlieue Santé, c’est de raccorder ce public pour qu’il ne soit plus éloigné du système de santé.

Comment expliquez-vous que ces institutions publiques n’arrivent pas à s’adresser à ces populations ?

AEB : Nous, on est sur le terrain au quotidien avec eux ; on connaît ces populations, on les comprend, on a vécu leurs problèmes. On a cette compréhension sociale et locale. Nous sommes les logisticiens du dernier millimètre, du dernier centimètre, du dernier kilomètre. Notre démarche est juste humaine et elle tient sur trois axes : faire simple, impactant et duplicable. On va au plus près des habitants et on travaille avec les collectivités territoriales, toutes les assos du territoire et des partenaires privés et publics.

On représente la société civile au service du bien commun, du droit commun et de l’intérêt général.

Qui vous soutient par exemple ?

Abdelaali El Badaoui : La liste est longue ; la fondation l’Oréal, la fondation BNP, la fondation EDF, Vinci, l’agence nationale de cohésion des territoires, le ministère de la ville, de l’intérieur, de département de Seine St-Denis, des hôpitaux, des CHU, des CCAS, le département de Seine-Saint-Denis, la région Île-de-France, et beaucoup d’autres encore ! 

En effet, vous avez plus de sponsors que l’équipe de France de Football ! Est-ce que votre association a pris une ampleur que vous n‘envisagiez pas à sa création ? 

AEB : On a officiellement lancé Banlieue Santé en 2018, mais officieusement on avait déjà commencé à travailler sur ces questions à partir de 2006. Au début c’était vraiment à l’arrache. Mais aujourd’hui on a largement dépassé nos ambitions initiales. On pense même à internationaliser notre process, vers les États-Unis, l’Afrique, la Belgique, etc… On a cette envie d’exporter notre modèle. En ce moment avec la crise sanitaire, on s’est beaucoup orienté vers les étudiants et les personnes âgées. On est aussi en train de monter des tiers lieux : des cafés de femmes. Des lieux où elles pourront se retrouver entre elles pour travailler différentes approches. On veut innover et on veut aller vite. On représente la société civile au service du bien commun, du droit commun et de l’intérêt général. À vrai dire on se voit presque comme un service public !

Texte : Edouard Roussel
Photos : Mathilde Leconte

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