Interview

AuditionSolidarité : À bon entendeur

AuditionSolidarité répare et réutilise les appareils auditifs usagés pour leur donner une nouvelle vie auprès d'un public qui en est souvent privé.

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Il y a parfois des rencontres qui tombent comme des évidences. Il y a douze ans, sur une simple constatation pleine de bon sens, trois femmes ont eu l’idée de lancer l’association AuditionSolidarité. Elles encouragent les musiciens à prendre soin de leur ouïe et appareillent des personnes, en grande difficulté, atteintes de surdité. Adrien Fagaut-Martial, chargé de communication de l’asso nous raconte.

Comment a germé l’idée de l’association AuditionSolidarité ?

Adrien FAGAULT-MARTIAL : AuditionSolidarité a été créée en 2008 suite à la rencontre de trois femmes du côté de Metz. Quand Carole Hercole une musicienne, professeure de piano et directrice d’une école de musique, rencontre deux audioprothésistes Christine Bourget et Odile Petit. La petite histoire c’est que Christine Bourget prenait des cours de piano dans l’école de Carole. En visitant la salle de répétitions dédiée aux batteurs, où trois musiciens jouaient bruyamment, l’audioprothésiste s’est inquiétée de l’état de leurs tympans. La praticienne explique alors à la musicienne comment notre oreille perçoit le son, les décibels, les cellules ciliées et les acouphènes. La musicienne lui avoue qu’elle a des sifflements et des bourdonnements tous les soirs et Christine lui explique que c’est le signe d’une fatigue auditive. Carole qui a fait des études de musicologie s’étonne que, durant ses années au Conservatoire, on ne lui a jamais parlé du son dans son aspect ‘’biologique’’ et que personne ne lui a transmis les bonnes habitudes à prendre quand on est musicien pour préserver son audition.

Et c’est sur cette constatation que l’association a commencé ses actions de prévention auprès des musiciens ?

AFM : Carole Hercole a tout de suite pensé qu’elle ne devait pas garder ces infos pour elle et qu’elle se devait diffuser la bonne parole ! Elle pense aussi que c’est un peu risqué de dire à des parents et à des enfants qui payent pour jouer de la musique que le son peut avoir des effets dévastateurs sur leur audition. Du moins si la musique est pratiquée de façon anarchique. Mais les parents se révèlent finalement ravis qu’on puisse enseigner ces bonnes habitudes. Nos actions ont évolué depuis. Aujourd’hui on a deux salariés de l’association qui se déplacent dans toute la France pour sensibiliser les élèves dans les écoles de musique ou les conservatoires. C’est pédagogique, c’est gratuit, ça fonctionne très bien et notre planning est rempli jusqu’en mai 2023. En amont de chacune de nos interventions, on envoie un colis de sensibilisation et quand Jean-Yves et Émilie arrivent sur place, ils proposent des conférences aux élèves pour expliquer ce qu’est un son, comment fonctionne les décibels, les seuils de risques, le seuil de douleur et à quel moment il faut faire des pauses.

 

En France, l’association appareille un public qui ne dispose pas de couverture sociale.

AuditionSolidarité

Il paraît que l’audition de la population française se dégrade, notamment à cause de l’utilisation des casques, vous l’avez constaté ?

Depuis 2008, dans nos interventions on pose toujours la même question aux enfants : « Avez-vous eu des sifflements dans les oreilles ? ». Avant, les trois-quarts levaient la main. Aujourd’hui c’est 90 % des élèves qui en ont, et même à sept ans. Ce n’est pas normal et c’est le signe d’une fatigue auditive. Il y a beaucoup de raisons à cela. D’abord, nous vivons dans une société extrêmement bruyante. L’oreille humaine n’est pas faite pour supporter toutes les agressions sonores qu’on subit au quotidien, les transports, les salles de cinéma… La musique compressée qu’on écoute trop souvent et beaucoup trop longtemps. On conseille d’ailleurs d’utiliser un casque plutôt que des écouteurs qui sont vraiment contre le tympan, et quand on est chez soi il vaut mieux passer de la musique sur des enceintes plutôt qu’au casque. On a des jeunes qui s’endorment en écoutant de la musique avec des écouteurs… C’est une très mauvaise idée. Un joueur de foot quand il a fait son match il ne rentre pas chez lui en courant, il se repose. Un musicien ou un mélomane c’est pareil. Après une exposition à des sons un peu forts on met ses oreilles au repos, on fait une pause. Les bouchons d’oreilles standards c’est bien quand on passe la tondeuse, mais pour les musiciens ou les gens qui vont voir des concerts on conseille plutôt l’utilisation de bouchons moulés avec des filtres qui réduisent juste en intensité sans altérer la qualité du son. -8Db ou -15Db c’est bien. D’ailleurs il vaut mieux avoir des bouchons avec une atténuation un peu moindre et les porter souvent plutôt que ceux avec une atténuation plus importante qu’on laisse dans sa poche. Pour les musiciens ça dépend aussi de l’instrument… Le violon, par exemple, il y a une oreille qui est collée sur l’instrument et pas l’autre. Et si vous avez des acouphènes, allez voir un médecin ORL et un audioprothésiste pour faire des tests.

Il y a aussi une vocation humanitaire dans votre association ?

Oui en France, on a appareillé entre 700 et 800 personnes malentendantes. Il faut savoir que l’on est très réglementé là-dessus, c’est uniquement pour les gens qui n’ont aucune couverture sociale. On n’a pas le droit d’appareiller quelqu’un qui a une carte vitale ou une mutuelle. La raison est simple, il y a eu une réforme il n’y a pas longtemps : le reste à charge 0. C’est-à-dire que sur les lunettes, la vue, les dents et les oreilles… Avec une carte vitale et une mutuelle tout est pris en charge pour le patient. Ils n’ont donc pas besoin de nous pour s’équiper. Deux fois par an à Paris (en mars et en septembre) et deux fois par an à Marseille. On vient avec tout le matériel et une équipe de professionnels de santé : des ORL, des audioprothésistes. Tout cela est possible grâce à nos 240 mécènes dont 190 audioprothésistes et aux fonds que nous donnent quelques marques d’appareils auditifs comme Signia (Siemens), Bernafon ou Oticon. Le plus dur dans ces actions c’est de faire venir à nous les personnes qui en ont besoin, alors on s’efforce de sensibiliser toutes les associations qui œuvrent dans la solidarité à nos actions humanitaires. Deux de nos salariés sont d’ailleurs en charge de faire passer le message, solliciter les assistantes sociales, les hôpitaux, les associations qui œuvrent dans la solidarité : pensez à nous on a une solution pour les personnes en difficulté qui ont besoin de prothèses auditives.

L’oreille humaine n’est pas faite pour supporter toutes les agressions sonores qu’on subit au quotidien.

« Nous avons trois électroniciens, salariés par l’association, qui réparent les appareils, changent les pièces défectueuses, les nettoient, les vérifient et les réinitialisent pour en faire des appareils tout à fait fonctionnels. » Adrien Fagault-Martial

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Et tous vos appareils sont recyclés ? Comment est que vous vous arrivez à vous en procurer ?

Oui, on n’achète rien, on répare ! Il y a deux scénarios : soit les gens nous envoient directement leurs vieux appareils, soit ce sont nos 200 audioprothésistes mécènes qui collectent les appareils de leurs patients quand il y a des renouvellements. En 2022 on en a reçu 15 000. Nous avons trois électroniciens, salariés par l’association, qui les réparent, changent les pièces défectueuses, les nettoient, les vérifient et les réinitialisent pour en faire des appareils tout à fait fonctionnels. Avec deux ou trois appareils auditifs, on arrive à en refaire un en parfait état. Pour vous donner une idée cette année on a réussi à en sortir 2 300.

Et vous réalisez aussi des actions humanitaires à l’étranger ?

Oui, nous réalisons deux missions à l’étranger par an sur quatre destinations différentes. Là, on revient du Vietnam. On a aussi une mission à Madagascar, une autre en république Domicaine, et une au Maroc. Le but de ces missions c’est d’appareiller à chaque fois entre 100 et 200 élèves d’une école pour enfants sourds et malentendants. Autant vous dire qu’on part avec quinze valises d’excédent de bagages et une douzaine de personnes. La première année, on appareille tout le monde, mais on va aussi former du personnel sur place aux différents aspects du métier d’audioprothésiste. L’un va apprendre à réaliser les tests d’audition, un autre va faire les embouts auriculaires, un troisième va faire les réglages sur l’ordinateur. En France c’est l’audioprothésiste qui fait tout ça. Et on revient l’année suivante pour contrôler tous les appareils des enfants et on approfondi les formations pour que les structures dans lesquelles nous intervenons soient autonomes.

Texte : Edouard Roussel
Photos : AuditionSolidarité

L’association oeuvre aussi à l’étranger afin d’appareiller des élèves d’écoles pour enfants sourds et malentendants.

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