Héritière d’une coopérative ouvrière défendant haut et fier l'accès à l'éducation et la culture pour tous, la Fraternelle de Saint-Claude, dans le Jura, est un lieu à part : une utopie concrète et une fabrique artistique à vocation sociale et culturelle.
Dès sa fondation en 1910 par Henri Ponard, la Maison du peuple avait déjà à cœur l’éducation populaire. Les idéaux socialistes de la coopérative ouvrière, tendance SFIO, imprègnent encore aujourd’hui les murs de la Maison du peuple. « On emploie toujours les mots d’utopie concrète pour décrire la Frat’, prévient Christophe Joneau, l’actuel directeur du lieu. On a gardé un fonctionnement très collaboratif, et on tient à maintenir une politique tarifaire pour que tout le monde puisse venir. Disons-le, pour l’équipe salariée, il y a un même un certain militantisme à maintenir un centre culturel pluridisciplinaire de qualité dans un bassin de vie sinistré par la crise économique et la crise sociale. »

4000m² et 8 étages, la Maison du peuple donne le vertige.
Édouard Roussel
L’inventaire de ce que fait et programme la Fraternelle (la Frat’ pour les intimes), dans une ville d’à peine 10.000 habitants, donne tout simplement le vertige. Cette Maison du peuple accueille un cinéma, un musée, une artothèque, un café, propose du théâtre, de la danse, des résidences d’artistes, un atelier de sérigraphie, de l’éducation populaire, abrite une boutique et évidemment programme des concerts à foison. Même en temps de Covid et avec la somme des restrictions qu’on lui impose, la Frat’ continue de tourner : « On peut quand même accueillir dans nos murs des artistes en résidence, explique Laetitia Merigot, responsable de la com’ et des relations publiques. Là, nous avons la compagnie Pernette qui travaille sa prochaine création dans nos studios ».
Un bâtiment hors-norme
Il fallait au moins ça pour occuper les 4.000m² du bâtiment ! L’endroit est très surprenant : un dédale de salles sur quatre niveaux dédiés à l’histoire du lieu et la création artistique ; en quelques pas vous passez d’un atelier de sérigraphie avec tout l’équipement moderne à une bibliothèque, toute en boiserie, remplie de livres anciens et décorée d’un buste de Jean Jaurès. Dans les murs de la Maison du peuple, les souvenirs et les reliques du passé ouvrier continuent d’inspirer les créatifs d’aujourd’hui.
Christophe Joneau, directeur de la Fraternelle.
Édouard Roussel

« La Fraternelle a vraiment changé dans les années 2000, se souvient Patrick Montmorency, 71 ans, ‘‘frateux’’ depuis 1986. Avant cette date, tout était fait par des bénévoles, et depuis maintenant une vingtaine d’années on a une équipe de salariés qui a pris le relais. Les bénévoles continuent évidemment mais avec les salariés on a pu amplifier nos actions, que ce soit en développant l’imprimerie, le cinéma ou en programmant plus de dates ». De quoi satisfaire la soif des habitants et accueillir de nouveaux publics.
« Ici, c’est pas le dirlo qui décide de tout »
Difficile même de résumer la prog’ de l’endroit ; tous les arts vivants sont les bienvenus à la Maison du peuple. « Ici, le festival, c’est toute l’année, plaisante Christophe Joneau. Le cinéma, la danse, les arts plastiques, la musique, ça fait partie de l’esprit du lieu. La Fraternelle, c’est un projet global. Alors c’est vrai que ça demande une sacrée organisation et un bon planning. Mais heureusement, on a une trentaine de bénévoles actifs. La Maison ne tournerait pas sans leurs apports. Pour se rendre compte, c’est l’équivalent de 5 temps plein. Toutes les visites guidées de la partie musée, c’est des bénévoles, les soirs de spectacles à l’accueil, en cuisine, à la mise en place, au démontage, c’est des bénévoles. Même la prog’, c’est les bénévoles. Ici, c’est pas le dirlo qui décide de tout ».

L’atelier de sérigraphie. Chaque année, la Frat’ accueille graphistes et illustrateurs.
Édouard Roussel
« Peut-être que le jazz, ça fait peur »
Chaque année, c’est 35 dates avec billetterie qui sont programmées ici, tout genre confondu même si le directeur reconnait une certaine inclinaison pour le jazz : « on travaille énormément avec le Centre régional de Bourgogne France-Comté, l’association Jazzé Croisé, Jazz migration où le festival franco-suisse JazzContreBand qui se déroule en octobre. Nous avons une mission de service public donc on essaye d’avoir une programmation la plus éclectique possible, même si on nous reproche parfois d’être trop élitiste. Allez savoir, peut-être que le jazz, ça fait peur ! On programme des formes artistiques qui ne sont pas présentes dans les grands médias, c’est notre marque de fabrique. »
Mais ramener un peu de culture à Saint-Claude, c’est pas si facile, malgré la place capitale du lieu dans le cœur des habitants. « Tout le monde ici connait le cinéma de la Maison du peuple, prévient Patrick Montmorency. Et je pense que tous les enfants de la ville passent au moins une fois dans l’imprimerie participer aux ateliers qu’on y organise pour les scolaires. Pour ce qui est des spectacles, c’est un peu plus compliqué, on a parfois du mal à attirer du monde, alors c’est à nous, bénévoles, d’aller chercher les gens ».
La salle de concert et son bar très vintage, on a hâte d’aller boire une mousse à ce comptoir-là.
Édouard Roussel

La culture par l’éduc’ pop’
Dire que cette année 2020 fut culturellement délicate est un doux euphémisme, pourtant la Frat’ n’a pas chômé. « Cette année, ce qui a vraiment pris le pas sur le reste, c’est l’éducation populaire, relève Christophe Joneau. On a été très sollicité par l’Éducation nationale, par l’Agence de la cohésion des territoires, pour mettre en place des activités hors les murs pour les jeunes cet été : création d’un fanzine avec un collectif de graphistes, réalisation d’ateliers de sérigraphies ou création de spectacles de danse. » Pas de doute, la Frat’ est bel et bien un bastion culturel.
Texte et photos : Édouard Roussel