Interview

ODIL TV, l’agence de transformation sociale

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« ODIL, mais qu’est-ce que ça peut bien vouloir dire ? », se demandaient Les Nuls dans la Cité de la peur. En Saône-et-Loire, ODIL veut dire « Observer et déployer les initiatives locales ». D’abord plateforme vidéo, ODIL est devenu depuis 3 ans un média total. Mais pas n’importe quel média.

Avec des vidéos, des podcasts, un magazine papier, et surtout une présence sur le terrain de tous les instants en mode commando, ODIL se déplace avec ses caméras, ses enregistreurs, et donne la parole, crée le débat, invite les citoyens à s’emparer de sujets qu’on a trop longtemps crus réservés aux « experts ». L’équipe et son célèbre canapé rose vont au cœur des événements, des villes et des villages du sud de la Bourgogne, pour les transformer en espaces éditoriaux d’expression libre. L’équipe d’ODIL TV a pris le parti de monter un « média d’action », présent dans le réel. Une solution positive à la défiance générale du moment pour les médias traditionnels. Rencontre dans leur QG de Montceau-les-Mines avec deux des fondateurs de cet objet média non identifié, Lætitia Dechambenoit, et Benjamin Burtin. Entre autodétermination, actions qui émancipent, et « agence de transformation sociale »…

Retrouvez l’ensemble du travail d’ODIL ici : https://odil.tv/

Comment vous est venue l’idée de crée ODIL ? 

Lætitia Dechambenoit : À l’origine, ODIL c’était un YouTube du 71. On se disait que de nombreuses initiatives sur le territoire manquaient de mise en lumière, et que répertorier toutes les vidéos réalisées dans le coin avait du sens. D’ailleurs c’est pour ça qu’ODIL s’appelle ODIL : « Observer et Déployer les Initiatives Locales ». Au fur et à mesure, ODIL a muté. D’une web TV elle s’est transformée en média pluridisciplinaire (radio, vidéo, papier, actions) et s’oriente vers des projets de transformation sociale.

Le constat de départ, c’est que le citoyen lambda ne participe pas assez au débat ?

Lætitia Dechambenoit : Au départ il y avait une vraie volonté de donner la parole à ceux qui ne parlent pas fort ou qu’on écoute peu. De créer du débat où la parole citoyenne a une valeur équivalente à la parole « d’expert ». Parce que les gens d’ici, ils sont très sachants dans des domaines parfois non valorisés et qu’on considère que prendre la parole, c’est reprendre du pouvoir sur nos existences. Il y a un côté émancipateur et thérapeutique souvent, dans la discussion collective, sans volonté particulière de convaincre, de persuader, d’imposer son point de vue. Créer des espaces de parole où chacun se sent légitime à s’exprimer, c’est déjà une manière de produire une forme d’information, à mon sens. En atelier cependant, on propose vraiment de co-créer de l’information.

Benjamin Burtin : C’est une notion que nous questionnons en permanence. Donner la parole à tout le monde, ça nous expose parfois à véhiculer des idées que nous ne soutenons pas, alors on essaye de toujours créer des contrepoints.

 

« Créer des espaces de parole où chacun se sent légitime à s’exprimer, c’est déjà une manière de produire une forme d’information »

ODIL TV

Comment vous définiriez un média d’action ?

Lætitia : Je crois que ça se vit et que ça se fait. C’est quelque chose d’hybride, entre la création de contenus médiatiques et les relations qu’on tisse avec les gens et le territoire. C’est une manière de faire. Par exemple, pour écrire un article, ça peut prendre des plombes, parce que j’ai le sentiment que pour être juste, il faut passer du temps avec les sujets de l’article. C’est partir du principe que le média est un prétexte plus qu’une fin en soi. D’abord on observe, ensuite on déploie… Un média d’action, c’est un média qui participe à ce qu’il raconte, qui n’est pas positionné comme un observateur extérieur mais qui serait plutôt au milieu des sujets.

Benjamin : C’est un peu tout ça oui. Disons qu’il y a une partie invisible, celle de l’action et une partie par laquelle les gens nous connaissent celle du média. Avoir un poids politique aujourd’hui, c’est aussi maîtriser la diffusion des actions.

Média/éducation populaire/sciences humaines. Dans chaque action médiatique, dans chacune de vos vidéos, il y a un côté sociologique ?

Lætitia : D’abord, on n’est ni journaliste, ni éducateur, ni sociologue. On est un peu à la croisée de tout ça. Mi-artiste, mi-communicant. Mi-réalisateur, mi-auteur. On passe la loupe sur des sujets parfois minuscules qui nous semblent indispensables pour s’orienter dans la complexité du monde. Quand on va s’intéresser au rapport des Morvandiaux à leur paysage, on essaie de creuser ce qui attache les gens au lieu où ils vivent. Parce que c’est le point de départ pour conserver ou transformer ces lieux, pour créer du commun, pour résister et lutter parfois… À Montceau-les-Mines, pays de prolos des galeries souterraines, faire des sciences humaines, c’est d’abord reconnaître que les autres existent et qu’ils méritent d’avoir la possibilité de s’autodéterminer. Pour tout ce qu’on entreprend, l’apport scientifique de Caroline, présidente de l’asso est super précieux. Elle est ethnologue, ça teinte forcément ODIL sur le fond et la méthode.

Vous produisez du média au cœur des événements. L’idée ce n’est pas de couvrir un événement, mais de partager avec ceux qui sont présents, c’est ça ?

Lætitia : On ne couvre pas les événements au sens communément partagé. On kiffe fabriquer du contenu in situ, en mode guérilla. Ouvrir des espaces de débat. Je crois qu’il n’y a pas de modalité figée. C’est un peu du sur-mesure en fonction des lieux et du type de projet qui nous accueillent. En gros, on a une caisse à outils et on vient bricoler. Faut nous faire confiance, on ne s’économise pas, on apporte de la bonne humeur et on essaie de tirer du sens de ce qu’on observe.

Benjamin : Il y a des médias dont le travail est de couvrir et ils le font très bien, Ils ont une audience qui les rend légitime puisqu’ils vont faire passer l’info au plus grand nombre. Nous, c’est notre méthode qui est médiatique, nos outils. Par exemple, en travaillant sur Chalon dans la Rue, il nous a semblé évident de ne pas mettre en avant l’artistique mais de questionner la rue, l’espace public, la liberté de mouvement, le contexte nous a bien orienté il faut le dire.

Un média d’action, c’est un média qui participe à ce qu’il raconte, qui n’est pas positionné comme un observateur extérieur mais qui serait plutôt au milieu des sujets.

La dimension Saône et Loire, elle est importante pour vous ?

Lætitia : Oui, c’est important. Même si on sort des frontières parfois. Moi je défends que l’échelle locale soit le dernier bastion pour avoir un impact, pour agir concrètement sur ce qui nous entoure. Je pense aussi qu’en observant finement ce qui est proche de nous, on a la capacité de défaire des nœuds pour comprendre des enjeux bien plus larges. Le projet DEPRISONNER (deprisonner.org) à Autun est un bon exemple. Au sein d’un collectif qui réunit des chercheurs, des associatifs, des habitants, on s’intéresse à l’histoire de la prison d’Autun avant sa réhabilitation en musée. On partage notre histoire locale, tout en saisissant l’occasion d’aborder des sujets qui traversent la société aujourd’hui : répression politique, fabrique de la figure de l’étranger, vies sous surveillance… Parce que parler de la prison d’Autun, c’est parler de liberté partout ailleurs, mais c’est plus facile quand c’est sous nos yeux.

Benjamin : On peut bien sûr parler de sujets plus larges, mais c’est notre prisme, ici il se passe tout ce qui se passe ailleurs en plus petit, à nous de créer les résonances qui vont rendre les sujets plus universels. En travaillant à une échelle plus petite, on prend le risque de ne pas toucher que des gens qui nous ressemblent dans les idées mais qui partagent avec nous le même territoire, ça force le débat.

Le canapé rose, c’était une occas’ de Valérie Damidot ?

Laetitia : La mascotte !

Benjamin : Allez je la raconte. Depuis 6 mois je voyais ce canapé qui trônait au milieu des autres chez But. Et pour cause, il est aussi moche que beau, bref il faut l’assumer. Un jour où j’allais là-bas, j’ai pris mon culot et je suis allé voir le vendeur. Je lui ai dit « vous me le donner le canapé ? Personne ne l’achète depuis 6 mois ». On le trimballe autant qu’on peut, ça a souvent marqué les gens, un pur coup de com.

C’est facile de vivre d’un média d’action ?

Lætitia : Si c’était facile ça n’aurait pas la même saveur, nous, on aime bien souffrir ! Au bout de 3 ans d’existence, on arrive enfin à sécuriser un peu plus nos emplois, sans crainte de ne pas pouvoir se payer le mois prochain. C’est un vrai numéro d’équilibriste de réussir à vivre de quelque chose qui n’existe pas, qui s’écrit à mesure qu’il se fabrique. Malgré tout, c’est quand même un luxe de dingue ce média d’action : bosser avec les gens que tu aimes, pour un territoire que tu kiffes avec l’ambition de changer le monde à petite échelle, celle des humains que tu rencontres, est-ce qu’on peut vraiment mettre un prix et un volume d’efforts sur ça ?

Benjamin : Au bout de trois ans, nous avons quand même de plus en plus de partenariats solides, de gens qui nous font confiance et qui nous engagent mais qui nous ouvre aussi leur public. Suivez-nous, abonnez-vous, mécénatez-nous, on est gentils, travailleurs et bons à marier…

Interview : Antoine Gauthier
Photos : ODIL TV
Lien utile
https://odil.tv/

« Je défends que l’échelle locale soit le dernier bastion pour avoir un impact, pour agir concrètement sur ce qui nous entoure »

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